Lettre aux amis et bienfaiteurs - janvier 2021 : L’État totalitaire

L’État totalitaire

À travers tout le Canada au cours de l’année qui vient de s’écouler, les gouvernements ont imposé des mesures qui, outre leur caractère arbitraire, restreignent et interdisent l’assistance des fidèles catholiques à la Messe et des non-Catholiques à leurs cultes respectifs.

Mais les gouvernements en ont-ils le droit ? Bien que ce que je m’apprête à affirmer soit certainement une hérésie aux yeux des adeptes de la doxa moderne, je soutiendrai néanmoins que la réponse à cette question dépend du caractère vrai ou non de la religion au nom de laquelle le gouvernement impose sa loi. Si une religion est fausse – que ce soit parce que ses adhérents vénèrent un faux dieu ou parce qu’ils vénèrent le vrai Dieu mais d’une manière fausse – l’autorité civile détient en effet le droit de contrôler, de limiter ou même d’abolir ces cultes, avec la prudence politique requise.

Toutefois, lorsqu’il s’agit de la vraie religion – c’est-à-dire la seule et authentique Église fondée par le divin Sauveur Lui-même –, l’État ne détient pas un tel pouvoir, ceci pour la simple raison que la finalité de l’Église est supérieure à celle de l’État, et ce, par la même mesure selon laquelle le Ciel est supérieur à la Terre.

Je m’explique : l’État et l’Église sont des sociétés parfaites. Une société est constituée par un groupe de personnes qui se coordonnent en vue de l’atteinte d’un but commun. Walmart, par exemple, est une société ; tous les membres de Walmart coordonnent leurs efforts en vue du profit optimal pour ses actionnaires. Mais Walmart est une société artificielle, parce qu’elle est faite par l’homme, et il en est de même pour Canadian Tire, le Calgary Golf Club et les Maple Leafs de Toronto.

Mais trois sociétés ne sont pas artificielles, puisqu’elles ont été créées par Dieu : deux d’entre elles sont naturelles (la famille et l’État), la troisième est surnaturelle (l’Église catholique, qui est le Corps du Christ) ; deux sont parfaites (l’Église et l’État), l’autre est imparfaite (la famille). Notons soigneusement que « parfaite » signifie ici « qui ne manque de rien en vue de l’atteinte de son but » et que « imparfaite » ne veut pas dire que la famille manquerait de quelque chose qu’elle devrait avoir en elle-même (comme on pourrait le dire des Maple Leafs), mais plutôt que Dieu n’a pas conçu la famille comme étant autosuffisante, puisque toute famille a besoin de ces autres familles que sont la famille des familles qu’est la nation, et la famille surnaturelle dont le père est Notre Père, et dont la mère est Marie.

La finalité de l’État, qui est temporelle (c’est-à-dire pour le monde d’ici-bas), s’appelle le bien commun. Le bien commun est la paix. Mais, la paix n’est pas simplement l’absence de conflit, mais plutôt la tranquillité de l’ordre. L’ordre, c’est lorsque chacun est à sa place ; c’est l’œuvre de la justice. Lorsque chacun paie son dû à Dieu comme à son voisin, nous obtenons la paix. La finalité de l’Église est la finalité de l’homme, le but pour lequel le créateur Éternel l’a créé – il s’agit de la vie éternelle. La finalité de l’État, en plus d’établir la paix,  consiste à permettre à l’Église et à toutes les âmes de se consacrer au salut des âmes.

Comment l’Église et l’État doivent-ils travailler ensemble ? Alors que chaque Catholique appartient à ces deux sociétés, il doit y avoir une forme quelconque de coordination entre celles-ci. Par exemple, si j’étais membre à la fois d’un club de football et d’une brigade de pompiers, que devrais-je faire si un incendie faisait rage ? Aller jouer au football au lieu de combattre l’incendie, ou plutôt le contraire ? La brigade de pompiers n’a pas à me dicter comment jouer au football, tout comme le club de football n’est aucunement qualifié pour me dire comment lutter contre un incendie. Mais lorsqu’un incendie éclate durant un match de football, mon devoir est de retirer mes souliers à crampons et de me coiffer de mon casque de pompier.

D’une manière similaire, l’Église n’a pas à dire à l’État comment établir le code de la route, de même que l’État n’a pas à dicter à l’Église si elle peut ou non célébrer publiquement la Messe. Et lorsque que l’État décide qu’une pandémie mortelle exige que chacun reste confiné dans son logis, il doit toutefois se rappeler que sa propre finalité est temporelle (la santé) et qu’elle doit être subordonnée à la finalité éternelle. Par conséquent, l’État ne détient pas l’autorité d’interdire la Messe ou d’interdire aux fidèles d’assister à la Messe. Plus encore, le droit des fidèles à assister à la Messe n’émane pas de l’État, mais de Dieu seul. Comment, alors, l’État peut-il priver les fidèles de ce droit ?

Tout cela étant dit, ne soyons pas surpris si l’État moderne impose la primauté des besoins temporels au détriment des nécessités éternelles, et ne nous laissons pas non plus perturber au point où ce désordre puisse nous paralyser dans l’accomplissement de notre devoir qui consiste à œuvrer en faveur de ce qui importe le plus, soit notre salut éternel.

L’État moderne refusant de reconnaître Dieu, il s’arroge par conséquent le rôle de Dieu Lui-même. Cette négation de Dieu par l’État et la prétention selon laquelle il ne saurait exister de droit qui n’émane pas de l’État, tout cela a un nom : le totalitarisme. Les totalitaires peuvent être des nazis ou des bolcheviques, ou encore il peut s’agir de progressistes à la fois sentimentaux et au cœur dur qui se flattent de croire qu’ils sauvent des vies en portant un masque tout en tendant d’une main la pilule du lendemain. Mais ils ont tous ceci en commun : ils sont athées (en révolte contre Dieu), matérialistes (l’âme n’existe pas et n’a aucune importance, puisque nous ne serions que des animaux), et ils sont autoritaires.

Comment pourrait-il en être autrement ? Dans L’Archipel du goulag, Soljenitsyne écrit : « Le pouvoir est un poison, c’est bien connu depuis des millénaires. Mais pour l’homme qui croit qu’il existe quelque chose au-dessus de nous tous et qui, pour cela, a conscience de ses limites, le pouvoir n’est pas encore mortel. Mais pour les gens qui ne connaissent pas cette sphère supérieure, le pouvoir est un poison cadavéreux. Rien ne peut les sauver de sa contagion ». Tout comme l’homme qui rejette Dieu et qui persiste à commettre le péché mortel est condamné à la destruction totale puisqu’il fait de lui-même son dieu, il en va de même pour la famille et la nation qui placent leur salut sur l’autel de la santé corporelle, d’un vaccin, de la richesse, ou de n’importe quel autre faux dieu. Nous aurions avantage à méditer souvent à l’ensemble du Psaume 72 : « Parce que voilà que ceux qui s’éloignent de vous périront » (Ps 72,27).

Cette apostasie contre Dieu est la raison pour laquelle l’État moderne s’arroge le droit de vie et de mort envers des bébés innocents et des personnes âgées, pourquoi aussi il tourne en eau le vin de mariage, et pourquoi il ne reconnaît d’autres droits que ceux qu’il reconnaît lui-même. L’autoritarisme de l’État qui dicte à l’Église comment elle peut adorer Dieu n’est simplement qu’une conséquence de cette idéologie fallacieuse.

Mais que les Catholiques ne soient pas le moindrement découragés. L’âme qui est en état de grâce sanctifiante est l’enfant chéri de Dieu, auquel rien ne peut arriver à moins que ce soit pour son bien. C’est là l’enseignement explicite de la Vérité Elle-même : « Or nous savons que tout coopère au bien pour ceux qui aiment Dieu » (Rm 8, 28). Lorsqu’un pouvoir réagit d’une manière totalitaire à ce qui, d’un point de vue païen, est le pire danger possible, soit la mort alors qu’il y a encore à tirer profit des mensonges des plaisirs matériels ;  lorsque ce pouvoir totalitaire, donc, décrète que nous n’avons pas le droit de vénérer librement Dieu – ce qui est pourtant le but réel de notre existence –, nous partageons alors tout simplement la Croix que tant de nos ancêtres ont portée à travers les siècles. C’est Pilate demandant : « Qu’est-ce que la vérité ? », puis qui se lave les mains de la condamnation de Dieu qu’il vient de décréter. Mais Dieu, en permettant cela, accomplit Son grand but, qui est de nous détacher des choses de ce monde afin que nous puissions mieux nous attacher à Lui.

Abbé David Sherry
Supérieur du district