Dialogue interreligieux : du rêve à la réalité

Source: FSSPX Actualités

Latifa Ibn Ziaten et le Secrétaire d’Etat américain, John Kerry

Le 4 février 2021, le prix Zayed pour la fraternité humaine a été décerné à la Française Latifa Ibn Ziaten, fondatrice de l’association « Imad pour la justice et la paix », et au Portugais António Guterres, secrétaire général des Nations unies.

Doté d’un million de dollars, ce prix a été créé par le cheikh Abdullah bin Zayed Al-Nahyan, à la suite de la signature du Document sur la fraternité humaine par le pape François et le grand Imam d’Al-Azhar, le 4 février 2019 à Abou Dabi (Emirats arabes unis).

Latifa Ibn Ziaten, Française d’origine marocaine et mère de cinq enfants, s’est fait connaître pour son action pédagogique en faveur de la paix après l’assassinat de son fils Imad, un militaire parachutiste français, par le terroriste Mohammed Merah en 2012. Son association, qui porte le nom de son fils, milite pour préserver « l’harmonie sociale » et prône un dialogue de paix entre les religions et la société.

António Guterres reçoit cette récompense pour son action à la tête des Nations unies pendant la pandémie de coronavirus, ainsi que pour ses appels à un cessez-le-feu global. Il a aussi soutenu activement la reconnaissance de la Journée internationale de la fraternité humaine [4 février], lancée par l’ONU à la suite de la Déclaration d’Abou Dabi.

A l’occasion de la remise du prix Zayed, le pape a déclaré qu’aujourd’hui « la fraternité est la nouvelle frontière de l’humanité », précisant : « soit nous sommes frères, soit nous nous détruisons mutuellement. (…) C’est le défi de notre siècle, c’est le défi de notre temps », a-t-il répété, « c’est le moment d’écouter. C’est le moment de l’acceptation sincère. »

François s’est adressé à Latifa Ibn Ziaten en ces termes : « Merci pour ton témoignage, merci d’être la mère de tes enfants, de tant de garçons et de filles […] et aujourd’hui la mère de cette humanité qui t’écoute et qui apprend de toi. »

Ce à quoi la récipiendaire a répondu : « Cela va m’aider, je suis aujourd’hui une deuxième mère pour beaucoup d’enfants » ; avant de conclure : « Si on arrive à briser les barrières qu’on a dans notre cœur, on trouvera notre place dans la société et on sera tous frères. »

Plusieurs personnalités ont tenu à apporter leur vif soutien. « L’amitié compte pour changer les choses », a déclaré Justin Welby, archevêque de Cantorbéry et ami du pape.

« Plus on se regarde de loin, plus on voit les différences », tandis que « plus on se regarde dans les yeux, plus on voit notre commune humanité », a pour sa part affirmé Charles Michel, président du Conseil européen, ajoutant : « une chaîne de vertu est possible » pour permettre l’instauration de la fraternité.

Mohamed Abd el Salam, secrétaire du Haut comité de la fraternité humaine – constitué à la suite de la signature de la Déclaration d’Abou Dabi – a quant à lui appelé les jeunes à « rêver » et à « regarder l’avenir avec le sourire ».

Retour à la réalité

En marge de ce flot de bons sentiments interreligieux, le dominicain Jean Druel a affirmé de façon plus réaliste que « ce type d’événements reste essentiellement symbolique ».

Ce religieux qui vit au Caire, où il est chercheur à l’Institut dominicain d’études orientales (IDEO), a déclaré à l’agence romaine I.Media : « Je ne suis pas certain qu’un travail de fond s’opère » ; ajoutant : « on ne constate pas encore d’effet boule de neige. Vous avez deux hommes qui se parlent et s’entendent. Mais Ahmed Al-Tayyeb [grand imam d’Al-Azhar], lorsqu’il dialogue avec le pape François, s’engage en son nom propre ; on observe peu d’initiatives de terrain. »

Car, « le monde musulman sunnite est très diversifié. Al-Tayyeb possède une formidable aura dans les milieux azharis, c’est-à-dire auprès des anciens élèves d’Al-Azhar. Ils sont des millions en Egypte et dans le monde.

« En revanche, il est détesté des Frères musulmans. Et chez certains Arabes non-égyptiens, il est presque inconnu. Au Maroc par exemple, Al-Azhar ne représente rien. La situation à l’intérieur du sunnisme est extrêmement complexe, avec des agendas divers et des ententes de façade.

« Les forces en présence sont les Frères musulmans, les différents courants salafistes, les courants soufis, plus ou moins conservateurs ou intellectuels, les libéraux, etc. » – Sans compter le chiisme, l’autre principale branche de l’islam, présente en Iran, en Irak, en Turquie, au Pakistan, au Liban…

Certes, reconnaît le P. Druel, le pape François « veut montrer qu’un dialogue est possible avec les musulmans et changer le regard de bon nombre de chrétiens sur eux. Cependant, certains observateurs estiment que, compte tenu de la situation effervescente à l’intérieur du monde sunnite, le pape est peut-être imprudent de privilégier surtout les relations avec Al-Azhar [institution soufie], au détriment d’autres acteurs. »

Telle est bien la limite infranchissable du dialogue interreligieux sur un plan pratique, avant même d’envisager les problèmes doctrinaux qui ne sont pourtant pas minces.

L’islam n’est pas un, en sorte que le dialogue interreligieux ne peut s’adresser qu’à telle branche au détriment des autres, et alors qu’elles se détestent entre elles. Concrètement c’est un dialogue sélectif non avec l’islam, mais avec une forme d’islam et contre les autres formes.