La réforme de la Curie, serpent de mer du pontificat (2)

Source: FSSPX Actualités

Le pape François n’a pas fait mystère de son ambition de réformer la Curie romaine, élément central de son programme. Le projet de cette réforme avait fait parler de lui en 2015, à l’occasion du consistoire. Le cardinal Müller avait alors réussi à lui faire un croc-en-jambe. Avec succès. 

Le projet de réforme 

Il fut discuté lors du consistoire (12 & 13 février 2015), immédiatement précédé de la huitième réunion du Conseil des cardinaux (le “C9”), en charge du dossier. Les milieux informés à Rome divulguèrent que le projet de réforme fut distribué trop peu de temps avant le consistoire. Celui-ci fut très houleux, et le secret le plus strict fut réclamé, et observé. La seule information, qui fit état d’un report sine die, est une note de l’Osservatore Romano : « Aucune publication de document n’est prévue à court terme : les délais sont naturellement longs, étant donné que l’on travaille à une nouvelle constitution et non à une simple mise à jour de la précédente ». Or, l’Osservatore Romano du 8 février 2015 contenait un long article du cardinal Müller sur le sujet, visiblement destiné à court-circuiter le projet. Que disait-il ? 

La mise en garde du cardinal Müller (en 2015) 

Elle nous révèle sans ambiguïté un élément central du projet de réforme. « La Curie, affirme-t-il, n’est pas une simple structure administrative, mais essentiellement une institution spirituelle enracinée dans la mission spécifique de l’Eglise de Rome (…) qui dépend de la mission spécifique de l’Evêque de Rome, successeur de Pierre », principe de l’unité de l’Eglise. 

Mais le pape « préside dans le même temps à l’Eglise locale de Rome », et le cardinal allemand de rappeler que le primat est lié pour toujours à cette Eglise à travers saint Pierre. « Ainsi, l’Evêque de Rome (…) n’est jamais pasteur de l’Eglise universelle sans son lien avec l’Eglise de Rome. (…) C’est pourquoi la Tradition parle du primat “de l’Eglise de Rome”. Le pape n’exerce le primat qu’avec l’Eglise romaine ». D’où la conséquence : « les caractères essentiels de l’Eglise : une, sainte, catholique et apostolique, se trouvent a fortiori réalisés dans l’Eglise romaine ». 

Vient alors le point crucial : « mais le pape accomplit son ministère grâce à l’assistance que l’Eglise romaine lui prête », notamment les évêques suburbicaires, les prêtres et les diacres de Rome à partir desquels le collège cardinalice s’est formé. Suivent deux affirmations importantes : « Malgré tous les changements historiques, l’idée est demeurée solide que l’Eglise romaine collabore à la tâche pastorale et doctrinale universelle du pape à travers le collège cardinalice. (…) Il ne s’agit pas d’une instance intermédiaire entre le pape et les évêques, dans la mesure où la relation entre pape et évêques, fondée sur la collégialité épiscopale, est immédiate ». Remarque fondée, mais grosse de conséquences si l’on ne se fait pas une juste idée de la collégialité. 

Il en vient aux conclusions pratiques : « La Curie romaine doit être distinguée des institutions civiles de l’Etat de la Cité du Vatican », ce qui est un indice, mais l’important suit. « Le Synode des évêques n’appartient pas lui non plus au sens strict à la Curie romaine : il est l’expression de la collégialité des évêques en communion avec le pape et sous sa direction. La Curie romaine aide en revanche le pape dans l’exercice de son primat sur toutes les églises ». La différence est celle qui existe entre l’unité et la catholicité. Et enfin dernière conséquence : « les conférences épiscopales et les divers regroupements d’Eglise particulières appartiennent à une catégorie théologique différente de la Curie romaine. (…) Favoriser une juste décentralisation ne signifie pas que l’on attribue plus de pouvoir aux conférences épiscopales ». 

L’analyse du cardinal Müller appelle les remarques suivantes. 1) Le danger intrinsèque de la collégialité épiscopale, même définie dans les limites imposées par la Nota prævia de Paul VI, se révèle fortement dans le projet. [Cette note a été ajoutée par Paul VI à la constitution Lumen gentium du concile Vatican II sur l’Eglise, pour préciser le sens d’un texte ambigu, pouvant être interprété dans le sens d’une diminution du pouvoir papal, selon le point 2).] 2) Et spécialement, le danger de voir progressivement s’installer deux erreurs plus ou moins bien repoussées par cette note. D’une part l’affirmation que le pape, ne cessant d’être le Chef du Collège des Evêques, agit toujours nécessairement en tant que tel. D’autre part et réciproquement, que le Collège épiscopal, ne cessant d’être, par la « communion », lié au pape, partage avec lui le pouvoir suprême sur l’Eglise universelle. Autrement dit, le pape doit nécessairement partager son pouvoir propre avec les évêques. 3) L’institution du Synode a inévitablement favorisé ces erreurs. 4) L’aboutissement logique est d’introduire le Synode dans la Curie, qui sera bientôt supplantée, et la conception la plus progressiste de la collégialité se réalisera. 

Ajoutons que la constitution divine de l’Eglise a toujours été présentée par les théologiens comme une monarchie (le mot est chez saint Pie X), à laquelle est jointe une aristocratie. Car le pape est monarque et possède tous les pouvoirs, mais les évêques sont d’institution divine, quoique soumis au pape avec tous les fidèles. Si le projet de François aboutissait dans le sens que nous venons de dire, l’analogie devrait ne garder que l’aristocratie, avec un primus, un président, dont le pouvoir serait inséparable du collège. Ou peut-être encore comme une sorte de monarchie parlementaire. 

Et même si, dans les commencements, l’on gardait tant bien que mal la doctrine actuelle strictement interprétée, combien de temps cela pourrait-il durer ? Il suffit de rappeler le déroulement du Concile et la manipulation de la mécanique électorale qui a donné l’ivresse du pouvoir à l’Alliance européenne – union d’évêques des pays du bord du Rhin : Allemagne, France, Belgique qui œuvrèrent dans un sens progressiste – devenue Alliance mondiale – les modernistes s’étant organisés au plan planétaire. Ces deux alliances eurent un poids considérable dans les élections au début du Concile, dans les débats et dans les votes. Un parlement introduit dans la Curie, même consultatif, ne le resterait pas longtemps. 

A cette analyse, certains pourraient opposer l’attitude du pape elle-même, qui se comporte comme un monarque – ce qu’il est en réalité, selon la divine constitution de l’Eglise. Mais l’on peut répondre d’une part que ce pape ne sera pas éternel, et que pourra faire un pape plus faible ? D’autre part, il ne serait pas étonnant que, sa réforme faite, il démissionne, comme il a pu le laisser entendre, laissant à son successeur une situation difficilement contrôlable. 

Le cardinal Rodriguez Maradiaga 

Ce cardinal a commencé à être connu en 2005, car il était parmi les papabili à l’élection qui a porté Benoît XVI sur le trône pontifical. Il a ensuite été nommé par François membre du Conseil des cardinaux (C9) chargé de préparer la réforme de la Curie, dont il est le coordinateur. 

Dans un entretien du 3 décembre 2014, il révéla que deux nouvelles congrégations verraient le jour, dédiées aux laïcs et aux œuvres charitables. Elles rassembleront certains des conseils pontificaux actuels : pour les laïcs, la famille, les migrants, les personnels de santé, Justice et Paix et Cor Unum. La Secrétairerie d’Etat serait limitée à une « distribution des tâches internes ». 

Le cardinal hondurien précisa qu’il n’est pas requis que le clergé soit à la tête des congrégations et des conseils pontificaux. « L’on n’a pas nécessairement besoin d’un cardinal ou d’un évêque pour diriger chaque dicastère : il pourrait y avoir un couple marié en charge de la famille, par exemple, et pour les migrants cela pourrait être une religieuse qui aurait une expérience spécifique dans ce domaine. » 

L’un des buts de la réforme, précisa-t-il, est de diminuer le nombre de cardinaux dirigeants à Rome. « La Curie ne doit plus être perçue comme une cour papale ou un super-gouvernement centralisé de l’Église. Elle doit être une structure dynamique pour servir le ministère papal. » Et pour que les choses soient claires il ajouta le 20 janvier 2015 : « Le pape veut réaliser la réforme de l’Eglise de telle sorte qu’elle devienne irréversible. » 

Autrement dit, le vicaire du Christ veut réformer ce que le Fils de Dieu a institué.