L’exhortation Querida Amazonia, muette sur l’ordination d’hommes mariés

Source: FSSPX Actualités

Le 12 février 2020 a été publiée l’exhortation du pape François, qui fait suite au synode sur l’Amazonie tenu à Rome du 6 au 27 octobre 2019. Intitulée Querida Amazonia (Chère Amazonie), le document comprend quatre chapitres ; il est divisé en 111 paragraphes. Dans un style souvent lyrique – avec beaucoup de citations poétiques –, le pape expose les quatre rêves que lui inspire l’Amazonie : un « rêve social », un « rêve culturel », un « rêve écologique » et un « rêve ecclésial ». Selon Andrea Tornielli, directeur éditorial du Dicastère pour la communication, cette exhortation qui commence par « chère Amazonie » est comme une « lettre d’amour ». Le recours rhétorique au « rêve » fait penser à l’anaphore « I have a dream, je fais un rêve » de Martin Luther King, dans son discours du 28 août 1963, devant le Lincoln Memorial de Washington. 

Pas un mot sur le célibat sacerdotal 

Sur la question de l’ordination d’hommes mariés – réclamée au § 111 du Document final du synode – le pape François demeure muet. Le mot « célibat » n’est pas employé une seule fois dans tout le document. Alors que le cardinal Claudio Hummes, rapporteur général du synode et soutien actif de l’ordination d’hommes mariés, avait adressé le 13 janvier une lettre confidentielle aux évêques leur demandant de préparer la réception dans leurs diocèses de cette exhortation tant attendue. Pour ce faire, il les invitait à lire le document final du synode, le discours du pape aux peuples de l’Amazonie, le rapport introductif du synode (dont il est l’auteur) et le discours final du pape, ainsi que l’encyclique Laudato si’. Le haut prélat brésilien ajoutait de façon très précise : « Vous pourriez aussi commencer à planifier une conférence de presse ou un autre événement dès que possible (…). Par exemple, il pourrait être approprié que vous présentiez l’exhortation avec un représentant autochtone, si possible dans votre région, un responsable pastoral expérimenté (ordonné ou religieux, laïc ou laïque), un expert en questions écologiques, et un jeune impliqué dans la pastorale des jeunes ». Et il annonçait que prochainement les évêques recevraient « une deuxième lettre avec d’autres suggestions ». De fait, ils reçurent une lettre datée du 29 janvier. 

Une telle fébrilité méticuleuse laissait penser que l’exhortation apostolique accueillerait favorablement les propositions du document final de ce synode dont l’évêque progressiste, Franz-Josef Overbeck, avait dit qu’après lui, « rien ne serait comme avant ». Or l’exhortation est parue et elle ne dit rien ni sur l’ordination d’hommes mariés, ni sur des ministères confiés aux femmes, également réclamés par le document final du synode.  

Comment expliquer ce silence ? Sandro Magister, sur Settimo Cielo du 12 février, met en avant le livre du cardinal Robert Sarah, écrit en collaboration avec le pape émérite Benoît XVI, Des profondeurs de nos cœurs (Fayard), où le prélat guinéen demandait au pape « de nous protéger d’une telle éventualité en opposant son veto à tout affaiblissement de la loi du célibat sacerdotal, même limité à l’une ou l’autre région », voyant dans la possibilité d’ordonner des hommes mariés « une catastrophe pastorale, une confusion ecclésiologique et un obscurcissement de la compréhension du sacerdoce ». (Voir DICI n°392, janvier 2020) 

Roberto de Mattei dans Corrispondenza Romana du 12 février, considère que le pape François qui se trouvait soumis à deux pressions contraires – celle des progressistes germano-amazoniens et celle du livre du cardinal Sarah et de Benoît XVI –, a suivi la seconde. Aux yeux de l’historien italien, l’absence du cardinal Hummes à la conférence de presse présentant l’exhortation, est significative. De même que l’annonce, le 11 février, par le cardinal Reinhard Marx, président de la Conférence des évêques d’Allemagne et principal artisan du « chemin synodal », qu’il ne se représenterait pas, au terme de son mandat en mars prochain, pourrait montrer que le clan progressiste se sent moins soutenu. 

Querida Amazonia fidèle écho de Laudato si’  

Une lecture de toute l’exhortation, et non pas seulement des paragraphes où il est question du ministère sacerdotal, permet de constater que le pape François ne désavoue pas ce qui a été dit ou fait lors du synode sur l’Amazonie. Bien au contraire, on voit que ce document se situe dans la droite ligne du synode, lui-même fidèle écho de l’encyclique sur « la sauvegarde de la Maison commune », Laudato si’ (24 mai 2015).  

A plusieurs reprises intervient l’idée que « tout est lié » entre l’homme, la nature et Dieu : 

§ 41. « Dans une réalité culturelle comme l’Amazonie, où existe une relation si étroite entre l’homme et la nature, l’existence quotidienne est toujours cosmique. (…) Cette insistance sur le fait que “tout est lié” vaut spécialement pour un territoire comme l’Amazonie. » 

§ 42. « La protection des personnes et celle des écosystèmes sont inséparables. Cela signifie en particulier que là où “la forêt n’est pas une ressource à exploiter, elle est un être, ou plusieurs êtres avec qui entrer en relation.” (…) Les dommages faits à la nature les touchent de façon très directe et visible, parce que – disent-ils [les autochtones] – “nous sommes eau, air, terre et vie du milieu ambiant créé par Dieu. Par conséquent, nous demandons que cessent les mauvais traitements et les destructions de la Mère terre. La terre a du sang et elle saigne, les multinationales ont coupé les veines à notre Mère terre”. » 

§ 56. « Si nous entrons en communion avec la forêt, notre voix s’unira facilement à la sienne et deviendra prière : “Couchés à l’ombre d’un vieil eucalyptus notre prière de lumière s’immerge dans le chant du feuillage éternel” [sic !]. Cette conversion intérieure est ce qui permettra de pleurer pour l’Amazonie et de crier avec elle devant le Seigneur. 

Sur l’emploi de l’expression « lieu théologique » qui fut reproché aux auteurs du Document de travail du synode, voici la justification que tente d’en donner le § 57 : « Si nous nous rendons présents à cette clameur déchirante, il sera manifeste que les créatures de l’Amazonie n’ont pas été oubliées par le Père du ciel. Pour les chrétiens, Jésus lui-même nous interpelle à partir d’elles “parce que le Ressuscité les enveloppe mystérieusement et les oriente vers un destin de plénitude. Même les fleurs des champs et les oiseaux qu’émerveillé il a contemplés de ses yeux humains, sont maintenant remplis de sa présence lumineuse”. C’est pourquoi les croyants trouvent dans l’Amazonie un lieu théologique, un espace où Dieu lui-même se montre et appelle ses enfants. » 

Le § 73 s’efforce de christianiser le panthéisme amazonien : « Certainement, il faut valoriser cette mystique autochtone de l’interconnexion et de l’interdépendance de toute la création, une mystique de gratuité qui aime la vie comme un don, une mystique d’admiration sacrée devant la nature qui déborde de tant de vie. Cependant, il s’agit aussi de faire en sorte que cette relation avec Dieu présent dans le cosmos se transforme toujours plus en une relation personnelle avec un Tu qui soutient sa réalité et qui veut lui donner un sens, un Tu qui nous connaît et qui nous aime. » 

Le § 79 répond indirectement aux vives critiques suscitées par le culte païen rendu à la Pachamama lors du synode : « Il est possible de recueillir d’une certaine manière un symbole autochtone sans le qualifier nécessairement d’idolâtrie. Un mythe chargé de sens spirituel peut être utilisé et pas toujours être considéré comme une erreur païenne. Certaines fêtes religieuses contiennent une signification sacrée et sont des espaces de rencontre et de fraternité, bien qu’un lent processus de purification ou de maturation soit requis. Un missionnaire zélé essaie de trouver quelles aspirations légitimes cherchent une voie dans des manifestations religieuses parfois imparfaites, partielles ou équivoques, et veut répondre à partir d’une spiritualité inculturée. » 

Pour une réfutation théologique de cet immanentisme diffus dans toute l’exhortation, on se reportera avec fruit à la conférence de l’abbé Davide Pagliarani, lors du dernier congrès du Courrier de Rome, intégralement transcrite dans Nouvelles de Chrétienté n°181, janvier-février 2020. 

La menace de l’ordination d’hommes mariés est-elle écartée ?  

Dans son quatrième chapitre – « un rêve ecclésial » –, le pape François traite de l’inculturation sociale, spirituelle, liturgique, ministérielle. Le mot « inculturation » revient vingt fois dans ce seul chapitre. 

Au § 87, le pape rappelle que seul le prêtre ordonné peut offrir le sacrifice de la messe, mais s’il n’y est pas fait mention de l’éventuelle ordination d’hommes mariés, le célibat consacré n’y est pas rappelé pour autant. Et comme le remarque le cardinal Michael Czerny, sous-secrétaire de la section des migrants et des réfugiés du Dicastère pour le service du développement humain intégral, dans cath.ch du 12 février : l’ordination d’hommes mariés ou encore la création d’un diaconat féminin sont des questions qui n’ont pas été « résolues » par le pape François. Il n’y a pas de « fermeture » de l’Eglise sur ces points : toutes ces questions restent en effet « ouvertes » et peuvent encore faire l’objet de « discussions » et de « prières » pour aboutir, plus tard, à « des décisions mûres » prises au sommet de la hiérarchie catholique. 

De fait, au § 95, François écrit : « La vie consacrée, capable de dialogue, de synthèse, d’incarnation et de prophétie, occupe une place de choix dans cette configuration plurielle et harmonieuse de l’Eglise amazonienne. Mais elle a besoin d’un nouvel effort d’inculturation qui mette en jeu la créativité, l’audace missionnaire, la sensibilité et la force particulière de la vie communautaire. » Jusqu’où doit aller ce « nouvel effort d’inculturation », créatif et audacieux ? Il ne le dit pas, mais au § 96 il loue le travail des « communautés de base », dont on sait le rôle dans la théologie de la libération en Amérique du sud : « quand elles ont su intégrer la défense des droits sociaux à l’annonce missionnaire et à la spiritualité, [elles] ont été de vraies expériences de synodalité dans le cheminement d’évangélisation de l’Eglise en Amazonie. » – Sans commentaire. 

Au § 104, François cite son exhortation Evangelii gaudium (24 novembre 2013) – il se cite beaucoup lui-même dans Querida Amazonia : 29 fois Laudato si’, 21 fois Evangelii gaudium –, pour rappeler sa façon de « dépasser » les conflits, à défaut de rappeler purement et simplement la doctrine catholique sur le célibat ecclésiastique. Selon lui, « la vraie réponse aux défis de l’évangélisation se trouve dans le dépassement des deux propositions [contraires] en trouvant d’autres voies meilleures, peut-être non encore imaginées. Le conflit est surmonté à un niveau supérieur où chacune des parties, sans cesser d’être fidèle à elle-même, est intégrée avec l’autre dans une nouvelle réalité. Tout se résout “à un plan supérieur qui conserve, en soi, les précieuses potentialités des polarités en opposition”. Autrement le conflit nous enferme, “nous perdons la perspective, les horizons se limitent et la réalité même reste fragmentée”. » – Autrement dit, au-dessus du conflit, on ne s’oppose plus, on se complète. Mais cela ne présuppose-t-il pas qu’on se situe au-delà du principe de non-contradiction ? Dans l’oxymore. 

Au § 105, le pape revient sur cette idée : « l’issue réside dans le “débordement”, en transcendant la dialectique qui limite la vision afin de pouvoir reconnaître un plus grand don que Dieu offre. De ce nouveau don accueilli avec courage et générosité, de ce don inattendu qui suscite une nouvelle et une plus grande créativité, couleront comme d’une source généreuse les réponses que la dialectique ne nous laissait pas voir. » Et d’en tirer une application immédiate à « l’Amazonie [qui] nous met au défi de surmonter des perspectives limitées, des solutions pragmatiques qui demeurent enfermées dans les aspects partiels des grandes questions, pour chercher des voies plus larges et audacieuses d’inculturation. » 

Dans cette perspective, on peut craindre que la question de l’ordination d’hommes mariés ne soit pas réglée mais simplement différée, et plus que jamais ouverte « sur des voies plus larges et audacieuses d’inculturation ». D’autant plus que François prie pour que « toute l’Eglise se laisse enrichir et interpeler » par le Document final du synode [avec son §111 sur les viri probati ?] « auquel ont collaboré de nombreuses personnes qui connaissent, mieux que moi et que la Curie romaine, la problématique de l’Amazonie, parce qu’elles y vivent, elles y souffrent et elles l’aiment avec passion » (§ 3 et 4). C’est dire que ces personnes sont à même de réaliser le quatrième rêve du pape, le « rêve ecclésial » : « Je rêve de communautés chrétiennes capables de se donner et de s’incarner en Amazonie, au point de donner à l’Eglise de nouveaux visages aux traits amazoniens. » 

L’Eglise rêvée par le pape, à la suite du synode, doit se parer d’un visage amazonien, là où seule la Face adorable du Christ, son divin Epoux, devrait resplendir.