Revue de presse : schisme "de jure" ou schisme "de facto" en Allemagne ?

Source: FSSPX Actualités

Le « chemin synodal » qui se déroule actuellement en Allemagne – où doivent être discutés la révision de la morale catholique sur l’homosexualité, le célibat des prêtres, les ministères confiés aux femmes… –, obligent les observateurs les plus lucides à se poser la question d’un schisme de droit (de jure), alors qu’un schisme de fait (de facto) est déjà là.  

Des évêques allemands atteints d’autocéphalite 

Dans Il Giornale du 28 janvier 2020, sous le titre L’Eglise est désormais en danger : un schisme menace l’Europe, Francesco Boezi écrit : « “Schisme” reste un mot imprononçable pour l’Eglise catholique. Pourtant, depuis quelque temps, on écrit et on parle sans cesse de “schisme”. Alors qu’approche l’une des phases les plus complexes de ce pontificat, la révolution des structures curiales à l’occasion de la publication de la nouvelle Constitution apostolique grâce à laquelle Jorge Mario Bergoglio entend révolutionner l’ordre romain, les évêques allemands ont convoqué un “concile interne” [i.e. “chemin synodal”. NDLR] d’une durée de deux ans. Le mot d’ordre est unique : réforme. Les effets potentiels, en revanche, sont multiples. Les prélats germaniques ont décidé de s’engager dans une voie qui peut avoir pour issue des “décisions contraignantes”» – Même si ces dernières étaient les exigences initiales du Comité central des catholiques allemands, il faut reconnaître que les Statuts du chemin synodal sont en retrait sur ce point, sans doute à la suite de l’intervention romaine. Il n’en reste pas moins que les évêques seront moralement obligés d’appliquer les résolutions qu’ils auront acceptées. 

Francesco Boezi montre la gravité de la situation en pointant du doigt le premier thème d’étude, dans l’ordre chronologique du chemin synodal : la doctrine catholique sur l’homosexualité. Cette dernière est présentée par les réformateurs allemands comme « une forme normale de prédisposition sexuelle ». Dès lors, « à y regarder de plus près, la morale sexuelle tout entière risque d’être soumise à un changement global ». Et de rappeler les autres thèmes qui pourraient devenir des « décisions contraignantes » : « en Allemagne, il semble y avoir un terrain fertile pour l’abolition du célibat des prêtres, pour l’institution d’un diaconat féminin et pour la sécularisation de la gestion des paroisses. » 

Dès lors, une question se pose : quelle sera l’attitude du pape face à une contestation aussi radicale ? Le journaliste italien avance une possibilité : « Jorge Mario Bergoglio pourrait avoir à gérer, d’ici moins de deux ans, une sorte de cas unique dans l’histoire ecclésiastique récente : une Eglise locale qui s’est déclarée autocéphale ou presque autocéphale, et qui fait savoir au Vatican qu’elle a délibéré en faveur de “décisions contraignantes” ». Et si, comme le pensent certains « traditionalistes » – d’après F. Boezi –, il y a une connivence entre le pape François et le cardinal Reinhard Marx, président de la conférence des évêques d’Allemagne, « le pontife argentin se trouverait dans une situation assez épineuse : dire non au cardinal Marx briserait le front progressiste ; dire oui au cardinal Marx, et donc aux “décisions contraignantes”, constituerait un précédent de poids. Dans ce deuxième cas, d’autres conférences épiscopales pourraient se sentir habilitées à organiser leur propre “concile interne”. Et cela créerait le problème du retour d’Eglises nationales. Avec tout ce que les “décisions contraignantes” entraîneraient en termes de confusion doctrinale. »  

A l’appui d’un éventuel schisme progressiste, le vaticaniste rapporte un fait, à ses yeux, significatif : le 24 janvier, le cardinal Gualtiero Bassetti a déclaré à des journalistes de son diocèse de Pérouse : « Si quelqu’un n’aime pas ce pape, qu’il le dise, parce qu’il est libre de choisir d’autres voies. La critique, c’est bien, mais pas cette volonté de destruction ». Et encore : « Il y a trop de gens qui parlent du pape et j’ai dit à l’un d’eux : Fais-toi évangélique, si l’Eglise catholique ne te convient pas, si cette barque est trop étroite. Nos frères protestants n’ont ni pape ni évêque, chacun fait ses propres choix. »  

Et Francesco Boezi de commenter : « Bassetti, avec cette réflexion, ne voulait certainement pas faire référence aux Allemands, auxquels le pape plaît, mais précisément aux prétendus “anti-bergogliens”. Les propos du cardinal italien ont un poids remarquable. Ne serait-ce que parce qu’elles indiquent comment, dans les hautes sphères catholiques, certains sont prêts à perdre numériquement, afin de retrouver une unité de vision qui semble avoir été perdue. » 

C’est pourquoi un constat peut déjà être fait : « un schisme de jure, celui qui est reconnu par les institutions, est une chose ; un schisme de facto, celui qui n’a pas besoin d’être baptisé avec toutes les onctions officielles, puisqu’il avance déjà tout seul, en est une autre. L’évêque Luigi Negri [ancien archevêque de Ferrare], dans un entretien à La Verità [du 13 janvier], a tiré la sonnette d’alarme, en parlant de la présence de situations schismatiques dans l’Eglise universelle. »  

Vers une grève de l’impôt ecclésiastique ? 

Francesco Boezi poursuit en relevant une opposition au « chemin synodal » qui se fait jour : « Les cardinaux allemands qui semblent plus que perplexes sont au nombre de trois : Gerhard Ludwig Müller, ancien préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, Walter Brandmüller, historien et ami de Benoît XVI, et le cardinal Rainer Maria Woelki, qui a voté contre la création d’un “concile interne”. Egalement les cercles traditionalistes habituels, qui ont organisé un véritable rassemblement de protestation sur une place bavaroise, avec la présence de l’ancien nonce apostolique Carlo Maria Viganò. »  

S’agissant du cardinal Woelki, archevêque de Cologne, on peut noter qu’après la première réunion du « chemin synodal », tenue à Francfort le 30 janvier, il a immédiatement fait savoir au micro d’Ingo Brüggenjürgen sur DomRadio.de : « En fait, toutes mes craintes sont avérées. J’ai dit très clairement que j’étais très inquiet de voir mis en place ici un quasi-parlement d’Eglise protestante, en raison de la manière dont cet événement a été pensé et organisé. Pour moi, c’est bien cela qui s’est produit. Les exigences ecclésiologiques essentielles qui se rapportent à la nature de l’Eglise catholique sont – à mon avis – ignorées dans de nombreux discours. C’est déjà l’image qui s’est formée très clairement lorsque les évêques et les laïcs sont tous entrés ensemble, exprimant ainsi que tous y sont égaux. Or cela n’a en fait rien à voir avec ce qu’est et ce que pense l’Eglise catholique. »  

Le haut prélat a même signalé de graves irrégularités : « tous les intervenants n’ont pas eu le droit de s’exprimer. Toutes les demandes d’intervention qui avaient été soumises par écrit au préalable n’ont pas été dûment prises en considération. » Et de rappeler sa position et celles des opposants à ce chemin synodal : « nous ne sommes pas de ceux qui mettent en place ou réinventent l’Eglise, deux mille ans après : au contraire, nous nous inscrivons dans une longue tradition. La foi, telle qu’elle a été définie lors des Conciles et aussi par ses origines apostoliques, ne peut pas être en quelque sorte démolie ou réinventée ici. » 

Francesco Boezi fait référence également à la manifestation organisée à Munich, le 18 janvier, par l’association Acies ordinata où, parmi les participants se trouvait l’archevêque Carlo Maria Viganò, qui a dénoncé en 2018 les silences romains sur l’inconduite du cardinal Théodore McCarrick. La journaliste française Jeanne Smits qui était à Munich, écrit : « Rangés comme une armée en bataille, une centaine de catholiques venus de près et de loin – Allemagne, Autriche, Italie, France… mais aussi du Royaume-Uni, du Canada, des Etats-Unis, suppliaient ainsi la Vierge qui est “forte comme une armée rangée en bataille” de prier pour que son divin Fils vienne au secours de son Eglise ouverte aux vents de l’erreur et attaquée de manière inouïe jusque de l’intérieur. » 

Correspondance Européenne du 31 janvier signale qu’à cette occasion l’universitaire Roberto de Mattei « a appelé les catholiques allemands à refuser de payer la Kirchensteuer, la taxe ecclésiastique, imposée obligatoirement aux Allemands, sous peine d’excommunication ». Dans son article d’Il Giornale, Francesco Boezi insiste sur cet appel à la grève de l’impôt : « Le professeur Roberto de Mattei, président de la Fondation Lépante, est le premier à être convaincu du bien-fondé d’une grève des impôts : “Le critère d’appartenance à l’Eglise catholique – a-t-il souligné en Bavière – est fondé sur la foi que chaque catholique reçoit au baptême et ne peut être réduit au paiement d’un impôt. Seule une institution profondément sécularisée peut établir une équation entre l’appartenance à l’Eglise et le paiement d’une part de ses revenus. L’Eglise allemande, économiquement riche mais spirituellement de plus en plus pauvre, apparaît aux yeux des chrétiens comme un appareil corporatif et bureaucratique soumis à l’opinion publique et aux autorités civiles. » 

 

 

« L’Eglise vit déjà un schisme et le pape parle comme l’ONU » 

Dans un entretien accordé à Il Giornale du 27 janvier, Aldo Maria Valli a présenté son dernier livre L’ultima battaglia (la dernière bataille). C’est un roman où le vaticaniste romain imagine ce que pourrait devenir l’Eglise si les réformes actuelles étaient poussées jusqu’à leurs ultimes conclusions théoriques et pratiques.  

A la question « s’agit-il d’une allégorie de la période que traverse l’Eglise ? », le journaliste italien répond : « Ce roman se situe dans un avenir indéterminé où certaines tendances de l’Eglise actuelle sont poussées à l’extrême. Des prêtres qui peuvent se marier même entre hommes, le message de la foi réduit à une vague consolation sentimentale, un abandon total à la pensée du monde, l’interdiction de prier et de bénir en public, la place Saint-Pierre rebaptisée place du Dialogue. Et face à cette dérive, quelqu’un décide de résister. (C’est) l’histoire d’une Eglise délibérément vendue au monde. Derrière, il y a le complot de ceux qui veulent en fait neutraliser l’Eglise catholique. Mais tout le monde n’est pas prêt à se rendre. Un “petit troupeau” s’organise et passe à la contre-attaque. L’entreprise semble impossible, mais le bon Dieu ne manquera pas d’apporter son aide providentielle. » 

Un peu plus loin dans l’entretien, Aldo Maria Valli déclare : « Dans l’ensemble, nous avons un pape qui parle comme le Secrétaire général des Nations unies ou le chef d’une organisation mondialiste. Il est souvent très difficile de trouver un contenu catholique dans sa prédication. Mais je trouve que le pire aspect de ce pontificat n’est pas lié à un thème spécifique, mais à l’ambiguïté constante, comme on le voit bien dans l’exhortation apostolique Amoris lætitia de 2016. François dit que pour lui, il est plus important “d’initier des processus que d’occuper l’espace”. Mais qu’est-ce que cela signifie ? Le successeur de Pierre doit confirmer les frères dans la foi, il ne doit pas “initier des processus”, quoi que cela veuille dire. » 

Au sujet d’un éventuel schisme en Allemagne, le vaticaniste répond : « il y a déjà un schisme. D’un côté, une Eglise en proie aux hérésies modernistes, de l’autre, des catholiques qui ne veulent pas céder au monde. L’Eglise allemande est économiquement très forte et capable d’influencer d’autres régions du monde, comme on l’a vu dans le cas du synode de l’Amazonie. Sous beaucoup d’aspects, comme le célibat des prêtres et le sacerdoce féminin, un cardinal comme Marx, président des évêques allemands, a des positions qui ne se distinguent pas vraiment de celles des luthériens. Qu’est-ce donc, sinon un schisme de facto ? » 

Convertir l’ONU ou être converti par elle ?  

Dans la Nuova Bussola Quotidiana du 10 février, Riccardo Cascioli reprend lui aussi l’idée d’un Vatican servilement aligné sur le discours de l’ONU, et il en rend responsable, entre autres, Mgr Marcelo Sanchez Sorondo, prélat argentin, chancelier des Académies pontificales des sciences et des sciences sociales, « un véritable militant politique, mondialiste et socialiste », selon le journaliste italien qui en dresse un portrait sévère : 

« Il a transformé les Académies pontificales qu’il dirige : d’organismes académiques respectables appelés à discuter et à approfondir les questions scientifiques et sociales actuelles, à donner des éléments de connaissance utiles aux souverains pontifes, elles sont devenues le bras (scientifiquement) armé d’une poussée mondialiste et écologique qui trouve certes son origine à Sainte-Marthe [résidence du pape François], mais qui à son tour entraîne Sainte-Marthe. Et le fait qu’il soit devenu un pilier fondamental du Nouvel Ordre du Vatican est démontré par le fait qu’il est toujours là, même s’il a déjà dépassé à la fois l’âge de la retraite (75 ans) et la prolongation qui, dans certains cas, est accordée par le pape (deux années supplémentaires). 

« Ainsi, au Vatican, des personnages qui représentent la pensée anti-humaine et anti-chrétienne qui guide les agences de l’ONU, sont désormais chez eux. Des environnementalistes catastrophistes, comme John Schellnhuber, et des économistes néomalthusiens, comme Jeffrey Sachs, dictent aujourd’hui la ligne à suivre, et il a même fallu assister à la docte leçon de Paul Ehrlich, le biologiste environnementaliste connu surtout pour The Population Bomb [la bombe démographique, traduit en français sous le titre La Bombe P, Fayard, 1970], le livre publié en 1968 qui a tant influencé les politiques anti-natalistes des décennies suivantes dans les pays pauvres. 

« Sorondo est le Grand Maître de cette bande, convaincu (ou du moins il le dit) qu’il a amené l’ONU sur les positions de l’Eglise, alors que c’est le contraire qui est évident. Il se sent si puissant et protégé qu’il peut librement faire des déclarations calomnieuses – il a dit à plusieurs reprises que quiconque est sceptique quant à la théorie du réchauffement climatique anthropique est à la solde des compagnies pétrolières –, ou lancer des insanités qui ridiculisent l’ensemble de l’Eglise catholique et offensent les victimes de persécution (on se souvient qu’il a récemment déclaré que la Chine est le pays qui met le mieux en œuvre la doctrine sociale catholique). » – sic ! 

Ici Riccardo Cascioli cite un fait récent qui illustre l’alignement du Vatican sur la pensée dominante. Il s’agit de la « conférence organisée par Mgr Sorondo, sur le thème Nouvelles formes de solidarité – Vers l’inclusion fraternelle, l’intégration et l’innovation. Elle a eu lieu le 5 février, et parmi les principaux orateurs figurait, une fois de plus, Jeffrey Sachs qui dans son discours s’est longuement lâché contre le président américain Donald Trump, décrit comme un danger mortel pour le monde, et pire encore s’il remporte les élections en novembre prochain. – Sans parler de l’utilité pour les congrès organisés au Vatican de devenir des tribunes électorales, ce qui est choquant, c’est de voir Mgr Sorondo, à côté de Sachs, rire, amusé des insultes de l’orateur, et même applaudir dans un passage particulièrement offensant, comme on peut le voir dans une vidéo diffusée sur YouTube. 

« On peut évidemment avoir des opinions différentes sur l’administration Trump, mais que le Saint-Siège soit impliqué dans une bataille politique de ce genre est absolument inadmissible : d’autant plus qu’il prend ainsi parti pour un théoricien du contrôle des naissances (et pro-avortement) contre le premier président américain à participer à une Marche pour la vie et qui s’est montré un champion du droit à la vie. » 

De fait ou de droit, le schisme ne semble pas toucher que l’Allemagne ; le Rhin et le Tibre mêlent leurs eaux depuis plus de 50 ans. La rupture avec la Tradition bimillénaire s’accompagne d’un rapprochement du monde – ainsi que le souhaitait l’aggiornamento conciliaire –, mais aujourd’hui ce rapprochement se fait tellement de plus en plus étroit qu’il confine à un alignement sur les positions des instances laïques anti-chrétiennes. Un retour à la Tradition n’est pas un retour en arrière, c’est une question vitale pour l’Eglise : instaurare in Christo ou être instaurée en ONG par l’ONU, autrement dit transformée en OGM, organisme génétiquement modifié.