Un magistère à géométrie variable

Source: FSSPX Actualités

L’Exhortation post-synodale « Chère Amazonie », publiée par le pape François le 12 février 2020, a été diversement accueillie. Elle a déclenché la colère du camp progressiste et le soulagement des conservateurs. Mais elle fait surtout l’objet d’une grande variété d’interprétations, si bien que l’on peut se demander si tous ont bien lu le même texte. Cette disparité est le signe d’un magistère à géométrie variable, qui varie selon les circonstances. 

L’ordination des viri probati 

L’un des points principaux d’inquiétude concernait l’ordination d’hommes mariés, les viri probati. Certains, comme le cardinal Gerhard Müller ou Mgr Athanasius Schneider, se réjouissent que le pape ait repoussé la suggestion du Synode d’ordonner prêtres des diacres mariés après une formation idoine (cf. Document final du synode, n°111). 

D’autres, à l’inverse, ne cachent pas leur agacement. Ainsi le cardinal Claudio Hummes, rapporteur général du synode pour l’Amazonie, absent lors de la présentation du texte papal. Il réclame que le thème soit repris à Rome, conformément aux demandes du synode. 

Enfin, nombre d’observateurs remarquent que l’objet du n° 111 n’est pas même abordé par l’exhortation, mais qu’il est traité par prétérition. Et c’est bien cela qui inquiète. C’est ce silence qui permet cet éventail interprétatif. Les plus avisés y voient une manœuvre habile : le pape ne veut pas s’engager directement et de lui-même – il a d’ailleurs affirmé qu’il ne le ferait pas –, mais n’exclut pas une avancée par d’autres biais. 

Le statut du document final du synode 

Une autre question importante est celle du statut juridique ou canonique du Document final du Synode. Le pape affirme en effet : « Je ne développerai pas toutes les questions abondamment exposées dans le Document de conclusion. Je ne prétends pas le remplacer ni le répéter. (…) Je veux présenter officiellement ce Document qui nous expose les conclusions du Synode. (…) J’ai préféré ne pas citer ce Document dans cette Exhortation parce que j’invite à le lire intégralement. (…) Que les pasteurs, les personnes consacrées et les fidèles laïcs de l’Amazonie s’engagent pour son application et qu’il puisse inspirer, d’une manière ou d’une autre, toutes les personnes de bonne volonté » (n°2 et 4). 

Le cardinal Lorenzo Baldisseri, lors de la présentation de l’Exhortation apostolique, le 12 février, a nettement affirmé qu’elle seule relevait de l’enseignement magistériel pontifical, à l’exclusion du Document final. Quant à Matteo Bruni, directeur du bureau de presse du Saint Siège, il a précisé que le Document final « ne devient pas magistère ». L’exhortation fait office de « lunettes à travers lesquelles regarder le Document final », a-t-il ajouté. 

Mais ceux qui avancent le contraire sont nombreux. Ainsi le cardinal Michael Czerny, dans un entretien du même jour, publié sur Vatican.news, rappelle que le pape « dans l’introduction de l’Exhortation post-synodale, explique qu’il ne veut ni remplacer ni répéter le Document final. Il le présente officiellement. (…) Il demande qu’en Amazonie, tous les pasteurs, les hommes et les femmes consacrés et les fidèles laïcs s’engagent pour son application ». 

Mgr Victor Manuel Fernández, archevêque de La Plata, connu pour avoir rédigé Amoris laetitia, affirme dans les colonnes de L’Osservatore Romano du 17 février que « Chère Amazonie » est un texte qui complète le Document final sans l’annuler, ce qui est une nouveauté. 

Le jésuite Antonio Spadaro, éditeur en chef à La Civiltà Cattolica, explique dans le numéro du 12 février que « c’est la première fois qu’un document d’une telle importance magistérielle se présente explicitement comme un texte qui en “accompagne” un autre, à savoir le Document final du synode, “Chère Amazonie : De nouvelles voies pour l’Eglise et pour une écologie intégrale” ». Il poursuit : « L’Exhortation ne va donc pas au-delà du Document final, ni n’entend simplement lui donner son sceau. François l’accepte entièrement et l’accompagne, en guidant sa réception dans le cadre du cheminement synodal, qui est en cours et dont on ne peut certainement pas dire qu’il soit terminé ». 

Une hypothèse très plausible 

Mgr Nicolas Bux, prêtre du diocèse de Bari, conservateur proche de Benoît XVI, s’interroge : « Si, comme l’a affirmé le cardinal Baldisseri, ce Document ne relevait pas du Magistère, mais avait une simple valeur morale, il resterait à comprendre comment il peut néanmoins assumer la valeur de clé d’interprétation de l’Exhortation, de sorte que cette dernière doive s’interpréter à la lumière de ce Document, que François nous a invité à lire et à garder entièrement à l’esprit. » (Benoît et moi, 20 février 2020). 

Le Père Raymond J. de Souza, dans l’édition du 12 février du National Catholic Register, rappelle quant à lui la constitution apostolique Episcopalis communio du 15 septembre 2018, dotant le synode des évêques d’une nouvelle réglementation. Celle-ci stipule : « S’il est approuvé expressément par le Pontife Romain, le Document final participe du Magistère ordinaire du Successeur de Pierre » (article 18). Autrement dit, le pape le fait alors sien. 

La question est donc de savoir si, oui ou non, le pape a approuvé expressément le Document final du synode. A considérer le texte de « Chère Amazonie », il est possible de soutenir les deux positions. 

Ceux qui répondent par la négative diront que l’approbation n’est pas « expresse » ou explicite. Il manque pour cela des termes comme : « approuver », « déclarer » ou encore « promulguer » qui sont habituellement usités en pareille occasion. 

Ceux qui soutiennent le contraire pourront, à juste titre, affirmer qu’une « présentation officielle » peut parfaitement s’entendre comme une approbation. Le texte de l’Exhortation est d’ailleurs très explicite : le pape demande l’application intégrale du document final – c’est pourquoi il refuse d’en faire la synthèse –, et il affirme que son exhortation ne le remplace pas – ce à quoi est normalement destinée une exhortation post-synodale. 

Le plus simple serait sans doute de demander au pape ce qu’il a voulu dire. Mais il ne donnera pas de réponse, car il attend des conférences épiscopales concernées qu’elles agissent : le principe de décentralisation de l’autorité – sous le nom de synodalité – doit jouer ici. C’est aux évêques de faire le travail. Le pape a dit qu’il n’abolirait pas le célibat sacerdotal, mais il n’a pas dit qu’il ne laisserait pas les conférences amazoniennes ordonner des viri probati. Bien au contraire. 

Le pape veut une Eglise à géométrie variable, pour qu’elle puisse s’adapter aux périphéries, suivant leurs besoins propres. Si l’Eglise à « visage amazonien » réclame le sacrifice du célibat, il ne s’y opposera pas. Tel est le message contenu dans cette approbation du Document final par l’Exhortation « Chère Amazonie ». En attendant que le visage amazonien s’étende à d’autres parties de l’Eglise, à commencer par les bords du Rhin…